Candidat à sa réélection, le président sortant de la Région Nouvelle-Aquitaine reste marqué par ses origines et la fermeture des usines dans son bourg natal.
A défaut de pouvoir serrer des mains, Alain Rousset a pris l’habitude de faire campagne en tendant le poing. Le « check » permet de respecter les gestes barrières tout en maintenant une forme de convivialité. Le candidat dévoile ainsi ses mains abîmées, parfois marquées par des pinçons sous les ongles. Elles trahissent la vie d’un homme de la terre qui s’enorgueillit de soigner ses poules et d’arroser lui-même ses pieds de tomates, qui déplace des pierres dans son refuge pyrénéen de Lescun et s’occupe de ses brebis dans sa bergerie de Pessac, près de Bordeaux.
À 70 ans, le « grand » – comme il dit quand il lui arrive de parler de lui-même en imitant les autres – n’a plus honte de ses mains. Il est même fier de ses origines paysannes et ouvrières.
« Ce n’était pas mon monde »Le puissant patron de la plus grande région de France n’a pourtant rien oublié du regard de sa voisine d’amphi le jour de son premier cours à Sciences Po en découvrant ses mains noires du tanin des raisins du beaujolais. Apprenant qu’il était admis dans la prestigieuse école, il avait quitté précipitamment les vendanges qui lui permettaient de financer ses études pour « monter » à Paris. La grande ville, le grand monde, ses codes, ses réseaux, ses réflexes élitistes, son mépris de classe. Il ne le cache pas, ce fut un choc.
Dans Le décentralisateur de la République, Alain Rousset raconte aussi ce souvenir d’enfance : gentiment invité à jouer par les enfants du patron d’une usine dont ses parents étaient les concierges, il n’avait pas bougé. « Je pense qu’intuitivement je ressentais que ce n’était pas mon monde », confie-t-il.
Pour comprendre Alain Rousset et son obsession pour l’innovation, le développement économique, la réindustrialisation et les usines, il faut l’écouter parler de Chazelles, sa commune d’origine dans les Monts du Lyonnais, et du traumatisme de la fermeture des 32 chapelleries qui employaient plus de 2.500 ouvrières et ouvriers.
Devenu président de Région en 1998 après avoir géré la reconversion industrielle du bassin de Lacq, près de Pau, il s’est donné pour mission « d’accompagner ceux qui créent et d’aider ceux qui souffrent ». Sa devise. Il a aussi mis en œuvre une politique transversale dédiée au développement économique et inventé son « modèle aquitain », inspiré des Länder allemands. Sa grande fierté.
Dix ans député de la Gironde, douze ans maire de Pessac, trois ans président de la Métropole de Bordeaux, onze ans président de l’Association des Régions de France, et vingt-trois ans président de Région, il n’a plus rien à prouver. Tout juste regrette-t-il de ne pas être devenu ministre sous la présidence de François Hollande – ancien camarade de promo à Sciences Po, comme Ségolène Royal –, quand le portefeuille de l’industrie lui semblait promis.
Il tient en tout cas sa revanche. Participe aux dîners parisiens du Siècle réservés à l’élite, cultive ses amitiés dans les cercles intellectuels, s’entretient régulièrement avec des historiens, des chercheurs… Sans renoncer à la camaraderie des déjeuners de chasse arrosés, aux rires bruyants et aux chants basques. Encore moins aux soirées avec ses vieux camarades du PS de Pessac dans cette bergerie où il reçoit en jean usé et chemise à carreaux élimée aux manches, avec sa chienne sous la chaise et une côte de parthenaise sur la braise.
Besoin de reconnaissanceIl pourrait s’arrêter au faîte de son parcours. Aller à la pêche à la truite, lire les poèmes de Baudelaire qu’il apprécie tant, promener ses petits-enfants sur une carriole tirée par sa jument de trait. Mais Alain Rousset aime séduire et veut toujours convaincre. Ses opposants ont d’ailleurs les pires difficultés à dire du mal de lui au conseil régional. Et il éprouve toujours ce besoin de reconnaissance. Pourquoi diable Le Monde, son journal de toujours, s’intéresse-t-il aussi peu à ce qu’il fait ? Mais qu’ont-ils de plus ces Bertrand, Pécresse et autres Wauquiez ?
Lui ne s’est jamais passionné pour la politique politicienne, c’est vrai. Celle des courants et des motions au Parti socialiste, celle des appareils, du sectarisme et de la mauvaise foi. Il n’est pas franchement à l’aise à la télé ni à la radio. Il préfère l’action et le terrain.
Après avoir orchestré la fusion avec le Limousin et le Poitou-Charentes, donné un nom et une identité à la Nouvelle-Aquitaine, Alain Rousset veut à présent l’incarner. « La passion, elle est là ; elle est totale », assure-t-il. Après tout, ajoute l’intéressé avec malice, il n’est jamais candidat qu’à un second mandat